DISPLACED MEMORIES
SOUVENIR PHOTOGRAPHIQUE
OU DE L'OPPOSITION À LA CLARTÉ
Il y eut pendant un temps la croyance, que les faits de l'histoire sont dépendants et inséparables des causes, qu'ils appellent au souvenir, inséparables également du présent et du contexte, dans lesquels ils se trouvent, sans que cela concerne les témoignages de la Shoah. Justement la photographie passe pour le medium capable de traduire une reproduction fi dèle de la réalité, ainsi que de pouvoirdocumenter l'histoire. Elle fut garante de la présence réelle du passé dans le présent, du « ce fut ainsi » (Roland Barthes). Même s'il était clair depuis le procès d'Auschwitz, que cela est pensé trop simplement. Cela peut être par exemple vu au contact des photographies de l'album d'Auschwitz, qui, à en croire l'union internationale des déportés d'Auschwitz, devait server comme document et authentique matériel de preuve, en fait bien plus que cela. Pour la juive hongroise Lili Jacob, qui a trouvé l'album 1945 dans un abri SS, les photographies prirent la valeur de souvenirs de famille. L'album devint pour elle un album de famille, dans lequel ses connaissances et visages familiers fi guraient.
Du point de vue des juges et avocats, les photographies étaient diffi ciles à envisager, car il n'était pas montré de maltraitance, de preuve de sévices. Des années plus tard le révisionniste français
Robert Faurisson se servit de certaines photographies pour nier l'anéantissement des juifs d'Europe *.
On peut voir aux différentes interprétations et attributions – déjà
par rapport à ce genre de matériel – que le sens et la signifi cation
ne peuvent venir seulement de l'édition de ces images, mais
que selon l'observateur et le point de vue adopté, ils peuvent devenir
extrêmement différents voire contradictoires. On remarque
une utilisation artistique de cette connaissance dans les travaux
de la deuxième et troisième génération. C'est ainsi que cette documentation
photographique a pris une esthétique, pareillement
dans la littérature, où l'expression et la transmission du représenté,
sa construction et invention, sont aussi importantes que le lien
et la participation des regardants.
A travers la confrontation artistique avec la Shoah, le présent
et l'accès subjectif au passé sont inscrits. Le passé est vu et lu
comme présent. Elle n'est pas fermée : elle touche souvent à
des états critiques du présent et se transforme elle-même et
le reste avec. Beaucoup de séries d'images et d'installations
tournent autour d'une sorte de « recherche d'image », et sont
des invitations à les lire pour le regardant, à les compléter avec
ses propres expériences et savoirs, et aussi souvent à devoir se
positionner face à elles.
Justement cette résistance à la clarté et au « faire sens direct »
est aussi le signe caractéristique du travail Displaced Memories
de Till Leesers. Car Displaced Memories place l'absence de vie et
la vie niée au centre du processus photographique. C'est une telle
extrême absence de ce qui s'est réellement passé, l'humiliation
de l'humanité, son avilissement et son meurtre, que le regardant
réclame les perspectives et vues qui lui manquent au début pour
compléter l'image toute entière.
Non pas à partir de l'objet représenté, mais dans l'interférence
entre image et regardant se produit alors le souvenir, dans
laquelle s'implique les regards à l'intérieur des espaces vides et
en même temps dans un sorte de contre mouvement apparaissent
les formes d'autres images, histoires, données historiques,
expériences ou autres souvenirs, et se mettent alors en relation.
La mémoire n'est plus alors seulement mémoire, récipient ou
encore conservation de visions mais bien plus un espace de
mémoire en mouvement à l'intérieur du sujet. A la tentative du
regardant, de poser le regard à travers d'intérieurs contre-regards,
il en résulte que l'espace bidimensionnel de l'image s'élève à la
tridimensionnalité.
A lui donner toute la force aigue du souvenir. Displaced memories
de Till Leeser est un travail du souvenir, qui se fonde sur un
renoncement conscient de la clarté, de la lisibilité des choses – à
travers les fl ous, les couleurs et le choix des objets.
Détails ou fragments de murs, parois, plafonds, sols, structures
d'habitations sont techniquement écrasés et dépréciés, afi n de
forcer à une ambiguïté jusqu'à une certaine perte de repères.
Les photographies sont dérangeantes, veulent être signifi antes et
en même temps ne se laissent pas durablement interpréter. Ainsi
le regardant ne peut être tranquille – le passé ne devient pas
présent, au contraire amène au futur, à l'intérieur duquel il veut
toujours être plus loin pensé.
A travers l'observation des photographies, nous sommes engagés
dans une conscience historique, à un être-conscient, qui sait que sa propre responsabilité envers l'Histoire et sa représentation, est
que rien ne reste terminé, lorsque qu'elle réapparaît formée du présent vers et pour le futur.
Dr. Ariane Eichenberg
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